Syrie : un an après la chute de Bachar Al-Assad, quel bilan pour le pays ?

Modifié : 8 décembre 2025 à 20h58 par Amr Souah

Le 8 décembre 2024, au lever du soleil, les Syriens n’avaient pas encore trouvé le sommeil. Une nuit interminable qu’ils ont vécue, où qu’ils se trouvaient à travers le monde. Chacun suivait les événements selon ses habitudes : à la télévision, sur les réseaux sociaux, ou en appelant ses proches pour s’assurer qu’ils allaient bien

 Syrie : un an après la chute de Bachar Al-Assad, quel bilan pour le pays ?

 Ils venaient de vivre onze jours que beaucoup décrivent désormais comme les plus dramatiques de l’histoire syrienne contemporaine.

 Les scénarios sombres sur lesquels le régime d’Assad avait fondé sa domination et son discours sur le chaos se sont effondrés en quelques heures.

 Les Syriens sont descendus dans les rues, aussi bien dans les villes du pays que dans celles où ils vivent en exil. Vers 06 h 18 le 8 décembre 2024, Bachar al-Assad tombait, marquant l’effondrement de cette dictature qui pesait depuis si longtemps sur les Syriens.

En onze jours, l’armée fidèle à Assad s’est désintégrée — des abords d’Alep jusqu’au cœur de Damas — sous les frappes d’une offensive menée par plusieurs factions de l’opposition, au premier rang desquelles Hayat Tahrir al-Sham.

L’ancien président a dû fuir à bord d’un avion russe vers Moscou, au milieu de la confusion et des rumeurs multiples sur sa destination et son sort.

Ainsi s’est refermée une page de plus d’un demi-siècle de pouvoir de la famille Assad et du parti Baas, ainsi que d’une guerre que le régime avait menée contre son peuple pour rester au pouvoir après la révolution de 2011 — une guerre qui a couté des centaines de milliers de vies et forcé des millions de personnes de quitter le pays. Alors que s’achève la première année suivant la chute, le moment est venu de faire le point sur les transformations accomplies.

Retour des relations diplomatiques

Quelques jours après la chute du régime, plusieurs pays arabes ont commencé à rouvrir leurs missions diplomatiques à Damas. Certaines ambassades ont rouvert rapidement, d’autres ont délégué des missions réduites ou des chargés d’affaires. La Turquie a été l’un des premiers pays de la région à rétablir sa représentation diplomatique en décembre 2024 — un retournement inimaginable quelques années plus tôt.

Au début de l’été 2025, le Royaume-Uni a lui aussi annoncé la reprise de ses relations, et son ministre des Affaires étrangères s’est rendu à Damas. La France, l’Allemagne et l’Union européenne ont intensifié leurs contacts politiques et humanitaires avec le gouvernement transitoire.

À la fin de cette première année, la Syrie avait renoué des canaux officiels avec un grand nombre de pays arabes, ainsi qu’avec près d’une dizaine d’États européens et occidentaux, à des niveaux variables de représentation — de l’envoi d’émissaires spéciaux à la réouverture de missions diplomatiques.

Le président intérimaire Ahmad al-Charaa, ou son ministre des Affaires étrangères, ont effectué de nombreuses visites à l’étranger. Parmi les plus marquantes :

  • Riyad, pour affirmer le retour de la Syrie dans son environnement arabe ;
  • Washington, pour discuter d’un allègement des sanctions et de coopération sécuritaire ;
  • Paris, première étape européenne ;
  • Abou Dhabi, pour renforcer le soutien économique ;
  • des participations internationales en Azerbaïdjan et au Brésil.

Ces déplacements ont marqué le retour actif de la diplomatie syrienne sur les scènes régionale et internationale après des années d’isolement.

Levée des sanctions et réouverture de l’économie

Le Congrès américain approuve la suspension du Caesar Act

L’année 2025 a amorcé une sortie progressive du carcan des sanctions.

  • En mai, l’Union européenne a allégé ses restrictions économiques principales liées aux relations avec le nouveau gouvernement, tout en maintenant des mesures ciblées contre des individus et entités associés à Assad, aux dossiers d’armement et au chimique.
  • En juin, les États-Unis ont mis fin au cadre général des sanctions du Caesar Act ainsi qu’aux sanctions économiques les plus lourdes, tout en maintenant les sanctions individuelles contre les figures du régime et leurs réseaux.

Le Congrès américain discute par ailleurs d’une annulation formelle du Caesar Act dans le cadre du National Defense Authorization Act (NDAA) 2026, avec une obligation de réexaminer régulièrement les performances du gouvernement syrien.

Cet assouplissement a permis d’entrevoir :

  • un retour des investissements du Golfe et d’ailleurs,
  • la reprise d’activités par des sociétés de télécommunications, d’énergie et des compagnies aériennes,
  • l’émergence de chantiers de reconstruction — petits et moyens — dans les périphéries de Damas, Alep et Homs,
  • une relance du marché immobilier, des services et du tourisme intérieur.

L’économie n’est pas devenue un modèle de succès, mais elle s’est libérée de l’étau qui l’étranglait sous les dernières années du régime Assad.

Une marge de liberté politique plus large

Malgré les nombreuses restrictions encore en place, l’espace politique s’est nettement élargi par rapport à l’ère Assad.

Les Syriens peuvent désormais critiquer le pouvoir publiquement, des formations politiques se créent, des mouvements civils et de jeunesse émergent, et une presse locale renaissante tente de reprendre souffle.

Le gouvernement transitoire a :

  • dissous l’ancien Parlement,
  • suspendu la Constitution précédente,
  • adopté une Constitution intérimaire pour encadrer cette phase de transition.

Pour la première fois depuis des décennies, une forme de pluralisme — fragile mais réelle — existe : forces civiles, libérales, de gauche, islamistes… Toutes cherchent à faire entendre leur voix. Le débat public s’ouvre sur les pouvoirs du président intérimaire et sur le modèle institutionnel futur.

 

Retour des réfugiés

Malgré la lenteur de la reconstruction et l’insécurité persistante dans certaines zones, plus de trois millions de Syriens sont rentrés des pays voisins, d’Europe et de Turquie au cours de cette première année, selon des estimations locales et internationales.

Des quartiers de Damas, Alep et Homs — presque vides un an plus tôt — ont retrouvé une vie réelle. Les écoles rouvrent en périphérie, les enfants jouent dans des jardins publics qui étaient récemment encore des lignes de front.

D’innombrables initiatives locales contribuent à reconstruire des maisons, rouvrir des souks, remettre en place des ateliers artisanaux.
Beaucoup de Syriens de la diaspora commencent à envisager sérieusement de rentrer ou d’investir dans leur pays.

Ce retour n’a pas l’ampleur rêvée, mais il a réellement commencé — et cela constitue en soi une transformation majeure pour un pays qui a vécu plus de dix ans de déplacements massifs et ininterrompus.

Mais quels sont les défis ?

Le pluralisme et la Constitution intérimaire

Malgré le discours officiel sur une « nouvelle Syrie pour tous », la Constitution transitoire confère encore de vastes pouvoirs au président intérimaire et repousse les élections générales de plusieurs années.

Les minorités religieuses et ethniques craignent d’être marginalisées ou prises pour cible, notamment dans les régions qui ont connu des affrontements communautaires.
L’opposition civile estime que les réformes politiques restent largement symboliques et que des segments entiers de l’appareil sécuritaire ont simplement changé de nom, pas de fonctionnement.

La côte syrienne

La côte a été l’une des régions les plus durement éprouvées par la chute du régime. Elle a connu, en mars 2025, des événements sanglants — assassinats, attaques, déplacements forcés dans certaines localités.

Un sentiment de peur et d’abandon domine chez de nombreux Alaouites, anciens piliers du régime. Certains demandent un statut d’autonomie élargi ou une forme de décentralisation renforcée, convaincus que l’État ne les protège plus et que la vengeance peut à tout moment resurgir.

Ce dossier est aujourd’hui l’un des plus délicats du processus de réconciliation nationale. Aucun projet sérieux de justice transitionnelle ne peut l’ignorer.

Soueïda et le Sud

Le Sud demeure instable. Soueïda, en particulier, a été le théâtre d’affrontements violents à la mi-2025 entre groupes armés locaux et forces de sécurité rattachées au gouvernement transitoire, avec en arrière-plan des ingérences régionales et des réseaux de contrebande.

Ces événements ont brisé ce qu’il restait de confiance entre une partie de la communauté druze et l’État central. Beaucoup estiment avoir payé le prix de leur opposition au régime précédent sans obtenir de véritable représentation ni de garantie de sécurité.

Le Sud a besoin d’une approche politique et économique profonde, et non de commissions ponctuelles ou de solutions sécuritaires temporaires.

Le Nord et les déplacés

Le Nord vit une réalité extrêmement complexe.

  • Dans une partie de la région, le nouvel Armée nationale et les forces de sécurité du gouvernement transitoire sont présentes.
  • Dans une autre, ce sont les Forces démocratiques syriennes qui maintiennent leur contrôle.
  • Et sur une large bande frontalière, la présence turque directe ou indirecte demeure.

Cette géographie imbriquée compte des millions de civils entre des lignes de front jamais totalement éteintes.

Le dossier le plus lourd demeure celui des déplacés internes et des exilés.
Des millions de Syriens vivent encore hors du pays ou dans des camps. Beaucoup observent amèrement les images des quartiers reconstruits de Damas ou d’Alep, sans savoir quand ils auront à leur tour un toit, une nationalité et des papiers légaux.

Une première année de liberté en quête de pleine réalisation  

Même si les Syriens ont retrouvé la liberté depuis seulement un an, un large pan de la population estime que le gouvernement transitoire n’en fait pas assez : pas assez de justice, pas assez de sécurité, pas assez d’opportunités.

D’autres pensent au contraire que ce qui a été accompli en douze mois seulement — après plus d’une décennie de guerre et l’effondrement quasi total des institutions — relève déjà d’un progrès immense.

C’est entre ces deux perceptions que vivent les Syriens aujourd’hui.
Personne ne veut revenir à l’ère Assad, mais beaucoup craignent que cette occasion historique de bâtir un État juste soit perdue.