"Rising Lion" ravive l’or noir et réveille les vieux traumatismes énergétiques de l’Occident

Modifié : 13 juin 2025 à 18h04 par La rédaction de Radio Orient

À l’aube du 13 juin 2025, Israël a mené une série de frappes ciblées contre des installations nucléaires et militaires iraniennes, dans le cadre d’une opération baptisée  "Rising Lion".

"Rising Lion" ravive l’or noir et réveille les vieux traumatismes énergétiques de l’Occident

En réaction immédiate, le baril de Brent s’est envolé de plus de 7 %, tandis que le détroit d’Ormuz, artère vitale du commerce mondial du pétrole, s’est retrouvé au bord de la paralysie. En un éclair, les marchés ont replongé dans les souvenirs des grandes secousses énergétiques du dernier demi-siècle : de l’embargo arabe de 1973 à la crise ukrainienne de 2022. Que reste-t-il des leçons tirées par les économies occidentales ? Sont-elles aujourd’hui capables de contenir une nouvelle onde de choc ?

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L’embargo arabe (1973–1974)

Multiplication par quatre des prix et émergence de la stagflation

Le choc pétrolier consécutif à l’embargo décrété par les pays arabes exportateurs provoque une flambée inédite des prix et l’apparition d’un phénomène redouté : la stagflation (inflation élevée conjuguée à une croissance stagnante).

  • Institutionnalisation de la réponse énergétique : création de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) par les pays de l’OCDE pour coordonner les stocks stratégiques et gérer les crises d’approvisionnement.
  • Tournant sécuritaire aux États-Unis : le président Nixon lance le Project Independence, érigeant la sécurité énergétique au rang de priorité stratégique, avec pour corollaire des mesures d’économie d’énergie et de soutien au pétrole domestique.
  • Réorientation diplomatique : les capitales occidentales resserrent leurs liens avec l’Arabie saoudite et les monarchies du Golfe, au prix d’un rééquilibrage de leur politique moyen-orientale.

La révolution iranienne et la guerre Iran-Irak (1979–1980)

Deuxième choc pétrolier et virage monétaire majeur

La chute du régime du Shah, suivie du conflit Iran-Irak, fait doubler les prix du brut. La poussée inflationniste oblige la Réserve fédérale, sous la houlette de Paul Volcker, à relever brutalement les taux directeurs, déclenchant une récession mais mettant fin à l’inflation galopante.

  • Doctrine Carter : toute menace sur l’approvisionnement pétrolier du Golfe est désormais considérée comme un casus belli, justifiant l’engagement militaire américain dans la région.
  • Extension du dispositif militaire : multiplication des bases américaines dans le Golfe et en Afrique de l’Est, avec pour objectif la sécurisation des flux énergétiques.
  • Autonomisation des banques centrales : la stratégie monétaire de Volcker marque une rupture fondatrice, établissant l’indépendance des banques centrales face aux pressions politiques.

La guerre du Golfe (1990–1991)

Nouvelle flambée des prix et brève récession

L’invasion du Koweït par l’Irak entraîne une hausse immédiate des cours. Mais grâce aux stocks stratégiques et à une intervention rapide, les effets économiques restent contenus.

  • Coalition multilatérale : sous l’égide des Nations unies, les États-Unis bâtissent une large alliance pour repousser les forces irakiennes, réaffirmant leur leadership mondial au sortir de la guerre froide.
  • Arabie saoudite, pilier stabilisateur : en augmentant massivement sa production, Riyad atténue la pression sur les marchés et confirme son rôle pivot au sein de l’OPEP.

Cycle haussier pré-crise financière (2003–2008)

Demande chinoise, pic des prix et mutation énergétique

Porté par l’essor chinois et la raréfaction des capacités de production excédentaires, le prix du baril frôle les 147 dollars. Si l’inflation progresse, l’impact reste contenu grâce à une moindre intensité énergétique dans les économies avancées.

  • Accélération des politiques vertes : les gouvernements encouragent les véhicules sobres en énergie et investissent massivement dans les renouvelables.
  • Clivage politique aux États-Unis : le slogan « Drill, baby, drill » symbolise l’opposition entre défenseurs de l’exploitation nationale et partisans d’un virage écologique.
  • Diversification géostratégique : l’UE et le Japon cherchent à réduire leur dépendance à l’OPEP via des importations depuis l’Afrique de l’Ouest, la Russie (à l’époque), ou le gaz naturel liquéfié (GNL).

Effondrement des cours (2014–2016)

Choc d’abondance et redistribution des cartes

La montée en puissance du pétrole de schiste américain fait chuter les prix de plus de 60 %, générant une « bonne surprise » pour les consommateurs occidentaux, tout en alimentant des craintes de déflation.

  • Redéploiement du leadership énergétique américain : les États-Unis lèvent l’interdiction d’exporter du brut en 2015, affirmant leur autonomie stratégique.
  • Tensions budgétaires internes : le Canada et le Royaume-Uni voient les recettes de leurs provinces productrices s’effondrer, relançant les débats sur les transferts fédéraux.
  • Pressions accrues sur adversaires géopolitiques : la Russie et le Venezuela subissent de plein fouet les effets conjugués de la chute des prix et des sanctions occidentales.

Crise énergétique post-Ukraine (2021–2023)

Inflation historique et réorientation structurelle de l’UE

L’arrêt quasi-total du gaz russe, combiné à l’instabilité du marché pétrolier, provoque une flambée des prix et une inflation à deux chiffres, particulièrement en Europe.

  • Initiative REPowerEU : plan de souveraineté énergétique visant à se libérer des hydrocarbures russes, accélérer le déploiement des énergies renouvelables et mutualiser les infrastructures de GNL.
  • Réactivation des stocks stratégiques : l’AIE orchestre des libérations coordonnées de réserves, consolidant son rôle de plaque tournante de la sécurité énergétique.
  • Répercussions sociales et politiques :
    • Gilets jaunes en France (2018) : initialement contre la taxe carbone, le mouvement devient un symbole de la fracture sociale.
    • Manifestations en 2022 au Royaume-Uni, en Espagne et en Italie, contre la flambée des factures énergétiques, forçant les gouvernements à adopter des mesures d’urgence et à taxer exceptionnellement les grands groupes pétroliers.

Une constante stratégique à travers les crises

Chaque choc pétrolier n’a pas seulement bouleversé les équilibres économiques : il a redéfini les doctrines de sécurité nationale occidentales, renforcé la coopération entre pays consommateurs, ancré durablement la présence militaire dans le Golfe, et accéléré la transition vers des politiques énergétiques plus autonomes et résilientes.
Si l’impact économique immédiat a eu tendance à s’atténuer au fil des décennies, les répercussions politiques — des alliances militaires aux mouvements sociaux — demeurent des vecteurs essentiels de transformation des rapports entre l’Occident, l’énergie et le Moyen-Orient.