Moyen-Orient : la France a perdu sa voix PAR BRUNO LE MAIRE

12 août 2014 à 14h08 par La rédaction

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TRIBUNE PARUE DANS LIBERATION MARDI 12 AOUT 2014Moyen-Orient : la France a perdu sa voixPAR BRUNO LE MAIREQuand verrons-nous que la mainmise des islamistes sur plusieurs villes irakiennes ne touche pas que les Chrétiens persécutés depuis des années ? Elle est une menace pour toutes les minorités religieuses ou ethniques ainsi que pour notre propre sécurité. A la première occasion, les islamistes de Mossoul viendront frapper Paris, Londres, Madrid ou Berlin. Leur haine vise toute différence, toute intelligence, toute civilisation.Quand comprendrons-nous que les frappes américaines visent avant tout à redorer le blason international terni de Barack Obama et à protéger leurs ressortissants sur place ? La stratégie américaine dans la zone ? Elle est inexistante. Le leadership ? Il est contesté. Ces frappes donnent un coup d'arrêt à une menace immédiate, mais elles ne règlent rien sur le long terme. Barack Obama a fait le choix du retrait américain en Irak et dans la région. Il nous laisse, nous Européens, seuls face au défi de notre sécurité et de la paix au Moyen-Orient. Avec ses alliés et partenaires, la France aurait pu relever ce défi. François Hollande a manqué cette occasion : comme toujours il a agi trop peu, trop tard. Il est resté dans le flou sur sa politique. Il a subi et il continue de subir.Le Président avait suivi les Etats-Unis dans leur valse-hésitation sur les frappes contre Damas en 2013, le voilà qui soutient sans aucune réserve les frappes américaines en Irak. Logique, mais dangereux pour la France. Car la légitimité du Conseil de Sécurité des Nations unies, dont la France est membre permanent, s'en trouve une nouvelle fois affaiblie. Et surtout, notre voix singulière ne porte plus : un écho ne fait pas une voix. Nous voici devenus les supplétifs commodes d'un gouvernement américain, qui ne sait pourtant pas où il va.Fidèle à son caractère, François Hollande essaie de satisfaire chacun, au risque de décevoir tout le monde. Début juillet, il appelle Benjamin Nétanyahou pour approuver sans réserve les frappes israéliennes, puis quelques heures plus tard Mahmoud Abbas pour appeler à la désescalade. Quelle cohérence ? Avec François Hollande, notre diplomatie est en train de perdre ce qui faisait sa force : le respect. Son art de la synthèse a sans doute fait merveille dans les congrès du parti socialiste : hélas, il nous décrédibilise désormais sur la scène internationale.Le voici maintenant qui veut accueillir en France les Chrétiens persécutés en Irak. La proposition est généreuse, mais elle sonne comme une capitulation face aux exactions sur place et face à notre ambition universelle de défendre les droits des minorités à vivre en paix sur leur territoire. Il serait plus courageux de fournir un appui militaire au gouvernement kurde qui accueille actuellement les minorités chassées de force du sol irakien. Face au renoncement de Hollande, une autre politique au Moyen-Orient est possible.Une politique qui assume une seule priorité : la lutte contre la menace islamiste et la défense de notre sécurité (une intervention au Mali, oui, en Centrafrique, non). A cette fin, la France a besoin de moyens militaires et de renseignement. Nous devons sanctuariser dans un premier temps, puis augmenter le budget de la défense.Une politique qui se fixe un seul objectif : la modernisation des Etats contre la montée des confessionnalismes. Cela passe par la défense des frontières actuelles des Etats face aux risques de morcellement. Cela passe aussi par le refus de la dictature de groupes religieux au sommet des Etats, qui alimente le terrorisme. Avec son intransigeance confessionnelle, le Premier ministre irakien est un des premiers responsables du drame actuel et de la poussée islamiste.Une politique qui se donne une seule méthode : le dialogue avec tous nos partenaires, pas la soumission à un seul allié, le respect du droit, pas le recours unilatéral à la force. Comme puissance européenne, disons haut et fort à nos partenaires : cela suffit. La France doit demander une réunion immédiate du Conseil européen et exiger la nomination du nouveau Haut Représentant : son absence décrédibilise toute volonté politique européenne. Proposons à nos amis allemands et britanniques de reconstituer sans délai le groupe de médiation à trois qui avait permis en 2003 le lancement des négociations sur le nucléaire iranien. Ostraciser un Etat ne mènera nulle part. Si nous voulons un règlement durable de la crise dans la région, discutons avec les Iraniens. Comment pouvons-nous entendre des responsables européens parler de crimes contre l'humanité en Irak et nous contenter de réponses humanitaires ? Les mots ont-ils un sens ? Avons-nous oublié notre histoire ?Comme membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, battons-nous pour obtenir une résolution sous chapitre VII, autorisant le recours à la force contre les menées islamistes. Assumons notre responsabilité face à la négociation américaine décrédibilisée à Gaza. Apportons un soutien clair à la lutte du gouvernement libanais contre les militants sunnites, qui sont un autre visage de la même menace islamiste. Avons-nous oublié nos 842 soldats de la Finul sur place et directement concernés ?Cet été 2014 est un été de malheur au Moyen-Orient. Ce malheur est d'abord celui des populations persécutées ou menacées, des victimes civiles, des réfugiés. Mais il peut un jour devenir le nôtre. La France a des responsabilités internationales : elle doit les exercer, dans le cadre du droit. Mais elle a surtout un devoir : protéger ses ressortissants, sur notre sol et partout dans le monde. Ne prenons pas cet été 2014 pour le dernier soubresaut de crises lointaines. Il préfigure au contraire les dangers qui nous menacent et les défis qui nous attendent. Donnons-nous les moyens politiques, diplomatiques et militaires de réduire les uns et de relever les autres.