L'enseignement musulman croît, avec et surtout sans aide de l'Etat

29 août 2015 à 20h35 par La rédaction

RADIO ORIENT
Regardé avec méfiance dans certaines villes, le développement de l'enseignement privé musulman se fait à bon rythme, même s'il reste contrarié par le manque de moyens et l'octroi au compte-gouttes des précieux contrats d'association avec l'Etat. La France compte une quarantaine d'établissements confessionnels musulmans, sans compter les projets en cours. Nouveauté de cette rentrée, deux collèges passent, mais pour une classe de sixième seulement, sous contrats d'association, ce qui signifie la prise en charge par l'Etat de la rémunération des professeurs chargés de matières générales. L'établissement Ibn Khaldoun de Marseille et l'Institut de formation de Saint-Quentin-en-Yvelines (IFSQY) en région parisienne rejoignent ainsi le lycée Averroès de Lille, le groupe scolaire Al Kindi à Décines-Charpieu près de Lyon, et l'école Medersa de Saint-Denis de la Réunion, pionnière en France. Avec quelque 3.000 élèves au total, cet enseignement confessionnel reste peu développé pour une population musulmane évaluée à cinq millions de personnes (pratiquants ou non). La communauté juive, forte d'un demi-million de membres, affiche elle quelque 280 structures d'enseignement, accueillant 30.000 enfants. Quant à l'enseignement catholique sous contrat, il scolarise plus de 2 millions d'élèves - dont un certain nombre de musulmans - dans ses 9.000 écoles, collèges et lycées. "La communauté musulmane est en train de rattraper son retard", assure à l'AFP Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman (FNEM), créée l'an dernier pour commencer à structurer un réseau disparate et qui ambitionne de devenir rapidement l'interlocuteur des pouvoirs publics. "Au départ, le sujet était un peu tabou, les musulmans jugeaient l'ouverture de mosquées prioritaire", estime ce directeur-adjoint du lycée Averroès. Mais la donne a changé dans les années 2000, surtout après l'interdiction du voile à l'école publique en 2004. Plus récemment, les critiques de l'Education nationale relatives à une "théorie du genre" ont joué leur rôle. "La question du genre a créé de vrais dégâts auprès des musulmans", confie Makhlouf Mamèche, qui est par ailleurs un dirigeant de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans. - 'Exigence chèrement payée' - Mais la possibilité d'afficher dans l'enceinte scolaire son appartenance à l'islam ou la volonté de défendre, comme l'expliquent certains établissements, une "éducation saine", sont loin d'être les seuls facteurs d'adhésion à cet enseignement confessionnel. "Le phénomène doit beaucoup au développement d'une classe moyenne musulmane qui préfère de petits établissements, où la discipline est plus tenue. Plus que la dimension islamique, c'est la qualité de l'enseignement dispensé qui est le critère le plus important", analyse Bernard Godard, longtemps chargé du suivi de l'islam au ministère de l'Intérieur. "La première exigence des parents, qu'ils paient cher --au moins 1.500 euros par an dans les classes hors contrat, ndlr-- c'est la réussite de leurs enfants", confirme Slimane Boussana, chef de l'établissement des Yvelines, installé à Montigny-le-Bretonneux, dont l'unique classe de sixième passe cette année sous contrat. Ouvert en 2009, l'IFSQY avait fait une première demande en ce sens en 2014, au terme du délai de cinq ans durant lequel tout contrat d'association est impossible. Après un premier refus "inexpliqué" l'an dernier selon le directeur, le sésame a été accordé cette année, fruit d'une large inspection. "Symboliquement, nous sommes associés au service public de l'éducation, cela veut dire que notre travail est reconnu", se réjouit Slimane Boussana. Mais "l'Etat manque de moyens" pour multiplier les contrats, admet-il sans difficulté. Les structures vivent donc le plus souvent sur fonds privés, en l'occurrence les droits de scolarité versés par les parents et l'apport de mécènes. La conformité de l'enseignement aux programmes de l'Education nationale et celle des bâtiments scolaires aux normes d'hygiène et de sécurité sont regardés de près par les autorités. "Les rapports avec les rectorats sont plus ou moins bons, parfois c'est avec les municipalités que les relations sont tendues. Je ne cesse de dire aux porteurs de projets que le relationnel joue un rôle primordial", souligne le président de la jeune fédération. Qui n'hésite pas à conseiller de reporter l'ouverture d'une école s'il juge le dossier fragile. "Il faut voir loin, l'avenir de nos enfants en dépend", dit-il. AFP