France: Mathias Enard remporte le prix Goncourt pour "Boussole", livre dédié aux Syriens

4 novembre 2015 à 12h39 par La rédaction

RADIO ORIENT
L'écrivain français Mathias Enard a remporté mardi le prestigieux prix littéraire francophone Goncourt avec son ambitieux roman "Boussole" (éditions Actes Sud), qu'il a aussitôt dédié "aux Syriens en général et aux gens qui souffrent" en Orient. Fin connaisseur du Levant, cet enseignant d'arabe à Barcelone de 43 ans était l'un des favoris. Il a recueilli dès le premier tour de scrutin les suffrages de six des dix membres du jury de l'Académie Goncourt. "Je suis surpris et très heureux", a-t-il réagi. "Palmyre (antique ville syrienne récemment détruite par les jihadistes du groupe Etat islamique) est un drame terrible, mais derrière il y a des millions de gens qui souffrent, une violence qui ne cesse pas dans ce Moyen-Orient dont on a l'impression qu'il souffre d'une sorte de malédiction", a-t-il ajouté. "Je reviens d'Alger, figurez-vous, et de Beyrouth", a ajouté l'auteur de "Boussole". "Peut-être la baraka de Cheikh Abderrahmane, le patron d'Alger, et Saint Georges de Beyrouth ont fait ça et j'en suis extraordinairement heureux", a encore dit Mathias Enard, large carrure et favoris broussailleux rappelant à certains Balzac. Sidi Abderrahmane Athaalibi, saint patron d'Alger, a vécu entre le 14e et le 15e siècle. Eminent théologien de son temps, son mausolée est à la casbah d'Alger.  Le Premier ministre français Manuel Valls a salué sur Twitter le lauréat, qui "avec son phrasé musical transmet l'amour de l'Orient et de ses trésors à préserver. Une Boussole pour l'époque".  Exigeant, parfois ardu, le roman de Mathias Enard tient parfois du poème. Ses références culturelles innombrables le font aussi pencher vers l'essai érudit. Cette complexité était considérée comme le bémol susceptible de priver l'auteur du Goncourt. Le temps d'une nuit, l'ouvrage enfiévré plonge dans les rêveries opiacées d'un musicologue viennois épris de l'évanescente Sarah, avec l'objectif de réhabiliter l'Orient face aux clichés de l'Occident. Le lecteur accompagne Franz Ritter, le narrateur, à Istanbul, Palmyre, Alep, Damas ou encore Téhéran, des villes que Mathias Enard, diplômé de persan et d'arabe, connaît bien. Il a vécu notamment au Liban et en Syrie. La tragédie syrienne apparaît ici et là. "Les égorgeurs barbus s'en donnent à coeur joie, tranchent des carotides par-ci, des mains par-là, brûlent des églises et violent des infidèles à loisir", écrit Enard. Cette image sinistre, qui prédomine aujourd'hui en Occident, occulte l'essentiel, déplore-t-il. - Dix euros avant le jackpot - Les relations compliquées entre l'Occident et l'Orient étaient au coeur des quatre romans finalistes du Goncourt cette année, dévoilés le 27 octobre au musée du Bardo à Tunis. Mathias Enard était l'un des deux favoris avec l'écrivain franco-tunisien Hédi Kaddour pour son roman "Les prépondérants", déjà lauréat ex-aequo du grand prix du roman de l'Académie française avec l'écrivain algérien Boualem Sansal, auteur de "2084". Ce dernier a salué mardi "la littérature belle, inventive, très construite, très intellectuelle" de Mathias Enard. "+Boussole+ est un régal, il ne se laisse pas lire facilement mais une fois en main, on ne le lâche plus, c'est tout l'Orient qui s'attache à vous et vous envoûte", a ajouté Boualem Sansal. Mathias Enard, qui succède à Lydie Salvayre ("Pas pleurer", Editions Seuil), figure désormais sur une liste de lauréats prestigieux dont Marcel Proust (1919, "A l'ombre des jeunes filles en fleur"), André Malraux (1933, "La Condition humaine"), Patrick Modiano (1978, "Rue des boutiques obscures") ou plus récemment Michel Houellebecq (2010, "La Carte et le territoire"). Le lauréat du Goncourt recevra un chèque de... 10 euros. Mais un roman estampillé Prix Goncourt se vend en moyenne à environ 400.000 exemplaires. Dans la foulée, le prix Renaudot, autre prix littéraire renommé, a été décerné mardi à Delphine de Vigan, la seule femme figurant parmi les prétendants, pour "D'après une histoire vraie" (Editions JC Lattès). AFP