«Quand tu vois dans ta classe que tes élèves ont les lèvres bleues, tu as honte»

23 janvier 2016 à 16h23 par La rédaction

RADIO ORIENT

Une enseignante dans les quartiers Nord de Marseille dénonce l'état désastreux de son école. La mairie centrale, responsable dans ce domaine, dit faire ce qu'elle peut.

 

Elle ne sait plus que faire ni vers qui se tourner pour que la situation évolue. Elle a alerté la municipalité, en vain. Interpelle à présent la ministre de l'Education. Charlotte Magri est professeure depuis neuf ans. Depuis la rentrée, elle enseigne dans une école des quartiers Nord de Marseille. Une école primaire dans une «cité pas trop mal, plutôt bien entretenue. J'étais heureuse en arrivant, je me disais que mes élèves n'avaient pas un cadre de vie trop catastrophique.»

 

C'était avant de pénétrer dans l'établissement. «Lugubre. Le bâti est dans un état, vous ne pouvez pas imaginer», commence-t-elle. Elle décrit ces portemanteaux qui se dévissent, des trous dans le sol de sa classe. Elle raconte aussi ces deux planches de bois de deux mètres de long, pointues d'un côté, qui se sont détachées du mur et auraient pu blesser un élève. La température, élevée en été, basse en hiver, faute d'isolation. «Quand tu vois dans ta classe que tes élèves ont les lèvres bleues, tu as honte. J'ai honte.» Ses collègues lui conseillent «d'enfiler trois polaires comme tout le monde ici».  Elle leur rétorque : «Et si c'était vos enfants ? Les professeurs sont tous d'accord pour dire que c'est inacceptable, qu'il y a de quoi être révolté mais s'arrêtent là.» La peur des conséquences, dit Charlotte Magri, et des réflexions de l'entourage aussi. «Notre profession est très décriée, je ne vous apprends rien. A part dire qu'on a beaucoup de vacances...»

 

«Un rapport datant de 2007 établit la présence d'amiante»

 

Dans la loi, l'entretien et l'équipement des établissements scolaires est dévolu aux collectivités territoriales. Mairies pour les écoles maternelles et élémentaires, départements pour les collèges et régions pour les lycées. L'entretien de cette école primaire est donc du ressort de la mairie de Marseille.

 

Au téléphone, Josette Furace, adjointe à l'éducation à la mairie de secteur (arrondissements 15 et 16) soupire. «Cette enseignante n'en rajoute malheureusement pas. J'aurais préféré qu'elle en fasse trop, comme on dit chez nous. Mais même pas... Un rapport datant de 2007 établit la présence d'amiante dans la structure de l'école. Or, le revêtement au sol est décollé par endroits. Il y a danger. J'ai alerté l'agence régionale de santé, il en va de la santé des élèves. Quant au gymnase, il est fermé depuis douze ans faute des travaux d'entretien !»Sur les 75 écoles de son secteur (les quartiers Nord), une bonne moitié a besoin de travaux, estime l'adjointe. Elle jure tempêter tout ce qu'elle peut auprès de la mairie centrale, seule compétente en la matière.

 

Interrogée, la mairie centrale de Marseille, répond que «depuis 2012, 100 000 euros de travaux ont été effectués ou sont en passe d'être réalisés dans ce groupe scolaire», sans être en mesure pour l'heure de donner le détail sur ce qui a été déjà réalisé. «L'éducation est l'un des plus gros budgets de la ville, mais Marseille, c'est grand : nous avons 444 écoles à entretenir», se défend la municipalité.

 

«Qu'on ne me fasse pas croire qu'il y ait des établissements ainsi laissés à l'abandon dans les autres quartiers ! s'énerve Charlotte Magri. Je ne peux pas accepter que ce soit normal. En tant qu'enseignante, je suis censée transmettre les valeurs républicaines, dont notre ministre parle tant en ce moment. Mais comment voulez-vous qu'on y parvienne quand on montre à ces enfants qu'ils ne valent pas autant que les autres, qu'eux sont dans des écoles en décrépitude pendant que d'autres sont dans établissements bien entretenus ?»

 

Furieuse et faute d'obtenir une réponse de la mairie (l'entretien des écoles est une prérogative communale), l'enseignante a interpellé Najat Vallaud-Belkacem dans une lettre ouverte fin novembre, et tambourine depuis pour que son combat ait un écho médiatique : «Nous devons proposer à chaque élève une école salubre et correctement équipée. Vous me direz que c'est l'affaire des mairies, et je vous répondrai qu'alors, si nous nous arrêtons là, nous devons être honnêtes et accepter que notre éducation n'est plus nationale.» Elle aimerait que Najat Vallaud-Belkacem vienne constater par elle-même. L'entourage de la ministre dit y réfléchir.

 

Marie Piquemal pour