Les nombreuses vies du papillon

12 novembre 2015 à 11h25 par La rédaction

RADIO ORIENT

Personne n'a pu prédire le déclenchement du mou­vement protestataire du 25 janvier comme l'a fait Mohamed Salmawy dans son roman publié en 2010, Agenehat Al-Faracha (les ailes du papillon). Les autres romanciers égyptiens n'étaient pourtant pas en reste. Bien conscients de la situation que vivaient les Egyptiens, leurs oeuvres faisaient état du chômage, de la pauvreté, de la corruption, mais surtout des prémices des mou­vements de protestation comme la grève d'Al-Mahalla en 2006, et ceci bien avant la création du mou­vement Kéfaya. Mais ils n'avaient pas pu imaginer, comme Mohamed Salmawy, le détail de ces manifes­tations populaires contre le régime et sa corruption.

 

Armé de ses connaissances en sciences politiques et de sa longue expérience dans la presse égyp­tienne, l'écrivain et dramaturge avait prévu dans son roman le déclenchement de manifestations menées par « les jeunes à travers les réseaux sociaux ». L'auteur avait anticipé très tôt l'influence majeure qu'auraient les réseaux sociaux. De même, on peut lire dans Les Ailes du papillon des slo­gans qui feront écho à ceux utilisés au moment de la révolution du 25 janvier, comme « Changez la Constitution avant qu'on ne dévoile vos exactions ! » ou « Mon pays, où es-tu ? C'est la famine qui nous tue ».

 

Le roman décortique des rapports de force qui régissent les relations personnelles des protagonistes, rapports de force qu'on retrouvera de manière très similaire lors de la révolution et qui seront à l'origine de nombreuses divisions au sein des couples ou des familles égyp­tiennes.

 

A travers deux intrigues bien dis­tinctes écrites en parallèle tout au long du roman, l'auteur cherche à montrer le cheminement de ses personnages à l'image d'un pays qui cherche une voie authentique. La première intrigue, celle d'Ay­man Al-Hamzaoui, relate l'expé­rience d'un jeune homme qui part à la recherche de sa mère comme en quête de son identité. La deuxième intrigue, plus importante, parle de Douha Al-Kenani, qui sort de son quotidien pour aller manifester et revendiquer la démocratie.

 

Douha est mariée à une personna­lité importante au parti au pouvoir. Dessinatrice de mode, issue de la bourgeoisie égyptienne, elle, qui n'a jamais eu d'intérêt pour la poli­tique « opportuniste », croise dans un avion Achraf Al-Zeini, figure indépendante de l'opposition, une rencontre passagère qui va changer sa vie de fond en comble. Dans ce dialogue, on reconnaît un discours typique qui s'est largement imposé dans la société au moment de la révolution. Tandis que Douha ne voit dans les objectifs des politi­ciens que de l'opportunisme, Achraf, lui, énumère les principes fondamentaux de tout système politique respectable : « La lutte contre la corruption, l'établisse­ment d'un gouvernement élu démo­cratiquement, le rejet des élections truquées ». Avant d'ajouter : « Je n'ai d'idéologie, ni communiste, ni islamiste. Je veux ce que veulent les gens. Le redressement de notre sys­tème politique. Et aussi que le parti qu'élira librement le peuple, gou­verne (...) Dites-moi, par Dieu, est-il normal qu'un seul parti puisse rester au pouvoir et gouver­ner le pays à vie ? ».

 

Le papillon revient en filigrane à travers le récit, car il « est le sym­bole de toute vie nouvelle », selon Douha, qui s'en inspire dans ses dessins de mode. Les étapes à tra­vers lesquels passent les person­nages, le peuple, à la recherche de la mère patrie, sont à l'image des différents stades de la vie du papillon qui se renouvelle, se méta­morphose et possède plus d'une vie. Cette nouvelle vie est la même qu'appellent de leurs voeux les Egyptiens qui ne souhaitent pas revenir sur leurs pas, ceux d'avant-2011.

 

Les Ailes du papillon de Mohamed Salmawy, traduit en français par Mona Latif Ghattas et Jaqueline Jondot, Orients Editions, 2015.

 

Le roman en arabe Agenehat Al-Faracha, aux éditions Al-Masriya Al-Lobnaniya, 2010.

 

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